mardi 25 novembre 2008

Syndrome du canal carpien : nouvelle approche neurophysiologique

Introduction

Le syndrome du canal carpien (SCC), compression du nerf médian au poignet lors de son passage sous le ligament transverse du carpe, est la mononeuropathie la plus répandue dans le monde. Sa prévalence dans la population adulte est estimée à environ 3% (1).
L'exploration électrophysiologique du SCC remonte à 1956, date à laquelle Simpson démontra pour la première fois un allongement de la latence distale motrice (2). Depuis lors, il n'y a toujours pas de véritable consensus sur la façon optimale d'explorer un SCC. Tout au plus, existe-t-il des lignes de conduite proposées par l'American Association of Electrodiagnostic Medicine (AAEM) (3).
La plupart du temps, la mise en évidence d'une compression du nerf médian au poignet ne pose guère de problème. Comme souvent, les difficultés naissent lors de la confrontation aux cas limites (borderlines) et lorsque l'électrophysiologiste a le souci d'augmenter sa sensibilité (vrais positifs) tout en conservant élevée sa spécificité (1-faux positifs). Or ce souci est légitime, car, manquer de sensibilité nous égare dans des voies diagnostiques sans issue ; manquer de spécificité, expose nos patients à des explorations, voire à des traitements, inutiles.
Nous avons souhaité, dans une étude prospective menée au CHU de Liège, comparer le rendement de différentes techniques et proposer une nouvelle stratégie d'approche neurophysiologique du SCC.

Les Méthodes

Trois groupes furent étudiés : A) 22 sujets sains (45 ± 11 ans ; 170 ± 7 cm ; 59% de femmes) et autant de mains dominantes (D) et non dominantes (ND), B) 20 patients sans paresthésie et sans signe évocateur d'une quelconque pathologie neurologique (20 D et 20 ND ; 39 ± 14 ans ; 167 cm ± 6 cm ; 70% de femmes), C) des patients avec un SCC typique sur le plan clinique, paresthésies dans le territoire du nerf médian avec recrudescence nocturne ou matinale (du moins au début des plaintes) (29 D et 24 ND ; 53 ± 16 ans ; 163 ± 8 cm ; 75% de femmes).
Les paramètres suivants furent enregistrés : vitesse de conduction mixte orthodromique transcanalaire du nerf médian sur un segment paume-poignet de 8 cm (VCmo), différence de VCmo entre les nerfs ulnaire et médian (VCmo U-M), comparaison des segments doigt-paume (pic I) et doigt-poignet (pic II) après stimulation orthodromique du majeur (Méthode 14-7), latence distale motrice du nerf médian (LDM), différence de LDM entre les nerfs médian et ulnaire après stimulation de ceux-ci au poignet et détection thénarienne des réponses évoquées (LDM M-thU). La température cutanée au poignet était supérieure ou égale à 32°C.





Résultats

Les valeurs normatives sont établies à partir des données mesurées dans le groupe A par la valeur moyenne ± DS avec un niveau d'incertitude (p) fixé à 5% (Tableau 1). Dans le groupe A, la comparaison des résultats obtenus au niveau des mains D et ND, par un test t de Student, ne révèle aucune différence significative.
La confrontation aux normes des résultats du groupe B et du groupe C permet de calculer respectivement la spécificité (1 – faux positifs) et la sensibilité (vrais positifs) de chacune des 5 méthodes testées (Tableau).
Le recours aux courbes ROC (receiver operator characteristic), en mettant en relation la sensibilité avec la spécificité, permet d’apprécier le rendement relatif des différentes méthodes. Il est également possible de fixer la spécificité à une valeur donnée, par exemple 97%, et de connaître les valeurs de sensibilité correspondantes (Tableau).

Tableau : Valeurs normatives et comparaison des sensibilités et spécificités de 5 techniques d'évaluation du syndrome du canal carpien

Limites de normalité : VCmo = 50 m/s, VCmo U-M = 14 ms, Méthode 14-7 = 2,09, LDM = 3,8 ms, LDM M-thU = 0,9 ms
Sensibilité : VCmo = 87%, VCmo U-M = 88%, Méthode 14-7 = 73%, LDM = 75%, LDM M-thU = 79%
Spécificité : VCmo = 90%, VCmo U-M = 100%, Méthode 14-7 = 95%, LDM = 90%, LDM M-thU = 87%
Sensibilité lorsque la spécificité est fixée à 97% : VCmo = 77%, VCmo U-M = 91%, Méthode 14-7 = 70%, LDM = 57%, LDM M-thU = 70%

Discussion-conclusions

Les méthodes impliquant une comparaison de la conduction nerveuse du nerf médian avec celle du nerf ulnaire (VCmo U-M et LDM M-thU) ou entre deux segments du nerf médian (Méthode 14-7) sont plus sensibles et spécifiques que les méthodes fournissant un résultat « absolu » non comparatif (VCmo et LDM).
La sensibilité des tests moteurs est moindre que celle des tests sensitifs, suggérant que les axones moteurs sont moins vulnérables à la compression que les axones sensitifs.
Chez un patient présentant une symptomatologie évocatrice d’un SCC, nous préconisons la stratégie suivante :

1. Commencer par mesurer les VCmo et VCmo U-M. Si les 2 tests sont positifs (VCmo > 14 ms), les données sont en faveur d’un SCC au moins sensitif. Si les 2 tests sont négatifs, l’hypothèse d’un SCC est improbable. Si les 2 tests fournissent des résultats discordants, la méthode 14-7 est utilisée pour trancher en faveur ou non d’un SCC sensitif.
2. Réaliser ensuite LDM et LDM M-thU. Si les 2 tests sont positifs (LDM > 3,8 ms et LDM M-thU > 0,9 ms) ou en cas de positivité de LDM M-thU uniquement, en présence d’un ralentissement significatif de la conduction sensitive ou mixte, les données sont en faveur d’un SCC sensitivo-moteur. Si le test LDM M-thU est négatif, selon les résultats de la conduction nerveuse sensitive ou mixte, les données sont en faveur d’un SCC exclusivement sensitif ou de l’absence de SCC.
3. Si la LDM de nerf médian est allongée de façon isolée, une autre hypothèse diagnostique doit être envisagée.


Lorsque les groupes B et C sont confrontés à cette stratégie diagnostique, la sensibilité atteint 89% et la spécificité 100%.

Enfin, pour apprécier la sévérité du SCC, nous préconisons d’utiliser l’échelle proposée par Padua et coll. (4) : grade 0, pas de SCC ; grade 1 minime, seuls les tests comparatifs sont anormaux ; grade 2 discret, réduction au-dessous de la limite inférieure de la normale de la vitesse de conduction sensitive ou mixte à travers le canal carpien; grade 3 moyen, idem et allongement de la LDM du nerf médian; grade 4 sévère, réduction majeure d’amplitude ou absence de potentiel sensitif ou mixte ; grade 5 très sévère, réduction majeure d’amplitude ou absence de potentiel moteur.

Références

1. Atroshi I, Gummesson C, Johnsson R, Ornstein E, Ranstam J, Rosén I. Prevalence of carpal tunnel syndrome in a general population. JAMA 1999 ; 282 : 153–158.
2. Simpson JA. Electrical signs in the diagnosis of carpal tunnel and related syndromes. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1956 ; 19 : 275-280.
3. AAEM. Practice parameter for electrodiagnostic studies in carpal tunnel syndrome : summary statement. Muscle Nerve 2002 ; 25 : 918-922.
4. Padua L, LoMonaco M, Gregori B, Valente EM, Padua R, Tonali P. Neurophysiological classification and sensitivity in 500 carpal tunnel sydrome hands. Acta Neurol Scand 1997 ; 96 : 211–217.

3 commentaires:

Noa a dit…

Bonjour, merci beaucoup Pr Wang pour ce partage. J'ai une question concernant l'interprétation de la baisse de l'amplitude du potentiel sensitif. Est-ce que cette baisse est toujours synonyme de perte axonale ou peut-il s'agir d'un bloc de conduction sensitif?

Unknown a dit…

Je me pose la même question

Unknown a dit…

pardon, mais il me semble que le stade 0 de la classification de padua et coll ( pas de syndrome du canal carpien ???) n'a pas de sens et je pense qu'il faut commencer par le stade 1 directement.