mardi 10 juillet 2012

Myasthénie


Introduction

La mise en évidence d’altérations de la transmission neuromusculaire est un élément clé dans le diagnostic de la myasthénie. Deux paramètres électrophysiologiques permettent de documenter le trouble de transmission neuromusculaire, le décrément lors de la stimulation nerveuse répétitive (SNR) à 3 Hz et le jitter par l’électromyographie en fibre unique (FUEMG). La FUEMG est plus sensible que la SNR (1,2). En effet, la mise en évidence d’un décrément par SNR demande qu’un nombre suffisant de jonctions neuromusculaires soient bloquées, c’est-à-dire une altération de transmission neuromusculaire déjà marquée, alors qu’une atteinte plus minime, entraînant simplement un retard de transmission, peut être détectée par la FUEMG sous forme d’une augmentation de jitter (Figures 1 et 2) (3). La stratégie d’exploration des troubles de la transmission neuromusculaire se pose donc en des termes différents selon qu’on peut ou non avoir recours à la FUEMG.

Figure 1 : Stimulation nerveuse répétitive d’une jonction neuromusculaire (JNM) isolée

A) JNM normale : la SNR est responsable d’un décrément physiologique du potentiel de plaque motrice (PPM) en raison d’une diminution progressive du nombre de vésicule d’acéthylcholine immédiatement disponibles (dépression synaptique). Pour les 5 stimuli, le seuil de déclenchement du potentiel d’action de la fibre musculaire (PA) est néanmoins atteint, et il en résulte 5 PA.

B-E) JNM avec bloc partiel : plus le nombre de récepteurs à l’acétylcholine fonctionnels est réduit et moins souvent le PPM atteint le seuil de déclenchement du PA, et il en résulte 4, 3, 2 ou 1 PA sur 5 stimuli.

F) JNM avec bloc total : le PPM n’atteint jamais le seuil de déclenchement du PA, et il en résulte 0 PA sur 5 stimuli.

Au sein d’un muscle myasthénique, la combinaison des situations A-F explique la survenue d’un décrément pathologique lors de la SNR à 3 Hz. Plus la situation F est fréquente et plus la taille du potentiel global musculaire, lors du premier stimulus, est petite.
(d’après Emile Godaux) (5)

Figure 2 : Effet, sur la jonction neuro-musculaire, d’une augmentation de la concentration en curare (stimulation nerveuse et enregistrement par microélectrode au niveau de la plaque motrice)

A) Potentiel de plaque motrice (PPM) (sans interférence avec les potentiels d’action musculaire par adjonction de tétrodotoxine)

1 : PPM normal, 2-6 : réduction d’amplitude du PPM par la concentration croissante de curare, 2-3 : PPM dépassant le seuil de déclenchement du potentiel d’action musculaire (PA), 4-6 : PPM inférieur au seuil de déclenchement du PA

B) Schéma du dispositif expérimental

C-H) Potentiel de fibre musculaire (sans tétrodotoxine) 
C1 : potentiel normal, D2-G5 : la réduction d’amplitude du PPM s’accompagne d’une réduction de la pente du prépotentiel musculaire et donc d’un retard d’atteinte du seuil de déclenchement du PA, se traduisant par le jitter en électromyographie de fibre unique (I), F4-G5 : le seuil de déclenchement du PA est atteint grâce à l’effet capacité de la membrane musculaire, H6 : le seuil de déclenchement du PA n’est pas atteint entraînant un blocage de la transmission synaptique pouvant se traduire par un décrément pathologique lors de la stimulation nerveuse répétitive.
(d’après Emile Godaux) (5)
Sans recours à l’électromyographie en fibre unique

La FUEMG n’est pas disponible, et loin s’en faut, dans tous les laboratoires de neurophysiologie clinique. Les raisons en sont multiples : niveau de difficulté de la technique, caractère invasif, manque de spécificité des anomalies enregistrées, coût des aiguilles de fibre unique non disposables. 
Dans ce cas, l’étude de la transmission neuromusculaire repose uniquement sur une recherche de décrément par SNR à 3 Hz. Il faut savoir en mettre en œuvre la technique de façon indolore et sur une variété de couples nerfs/muscles si on veut l’utiliser largement et en accroître la sensibilité diagnostique. La recherche de décrément doit se faire avant tout sur les muscles cliniquement symptomatiques et sur les muscles proximaux, ce qui amène en pratique à explorer, au moins du côté symptomatique et parfois de façon bilatérale, les couples fibulaire/tibialis anterior, radial/anconeus, spinal/trapezus et facial/nasalis ou orbicularis oculi, soit au total huit couples nerfs/muscles. Auxquels il faut ajouter les muscles du plancher buccal en cas de troubles de phonation ou de déglutition, et les couples médian/abductor pollicis brevis ou ulnaire/abductor digiti minimi (ADM) en cas d’atteinte des mains. Un décrément est considéré comme significatif si l’image montre une chute progressive d’amplitude et de surface des potentiels moteurs au cours du train de chocs, atteignant un maximum d’au moins 10% au 4e ou 5e potentiel (Figure 3) (3).
La technique de SNR a été longtemps réputée peu sensible, mais à l’issue d’études portant essentiellement sur le couple ulnaire/ADM, rarement touché par la myasthénie. Diverses manœuvres de sensibilisation de la SNR ont été proposées (contraction musculaire volontaire préalable, ischémie…). S’il arrive que ces manœuvres accentuent un décrément, il est bien plus utile pour augmenter la sensibilité de la SNR d’augmenter le nombre de couples nerfs/muscles étudiés (3).

Figure 3 : Résultats de la stimulation nerveuse répétitive chez une patiente myasthénique (à droite)
Décréments des potentiels d’action musculaire globaux (PAMG) enregistrés lors de l’application de trains de 10 chocs à intensité supramaximale (150 % de l’intensité pour laquelle l’amplitude de la réponse motrice n’augmente plus), à la fréquence de 3 Hz, sur le trajet des nerfs radial, ulnaire, spinal et facial. Les décréments sont calculés par le rapport (%) des surfaces du pic négatif initial des quatrième et premier PAMG. A : premier bilan électrophysiologique lors de la consultation initiale. Les 10 PAMG sont superposés. B : dernière exploration, à plus de 4 ans d’intervalle, la patiente étant asymptomatique. Les 10 PAMG successifs sont enregistrés en décalage.
Illustration de la technique de stimulation nerveuse répétitive pour le couple radial/anconeus 
(2 photographies à gauche)
Le point moteur du muscle anconeus se situe au sommet d’un triangle équilatéral dont les autres extrémités 
sont occupées par l’olécrâne et l’épicondyle externe de l’humérus. La détection des potentiels d’action musculaires 
globaux est assurée par une paire d’électrodes de surface disposables (ou cupules métalliques). L’électrode active 
(G1) est placée au point moteur du muscle anconé et l’électrode de référence (G2) distalement sur le bord interne du 
cubitus. La stimulation nerveuse (choc rectangulaire unidirectionnel de 0,1-0,2 ms de durée, à la fréquence de 
2-3 Hz) est délivrée par un stimulateur bipolaire de surface, la cathode orientée distalement, à hauteur ou 
au-dessus de l’épicondyle externe sur le bord latéral du muscle triceps brachial. Filtres : 10 Hz – 5 kHz. 
Calibration initiale (à adapter au besoin) : 3-5 ms/division et 1 mV/division.


Avec recours à l’électromyographie en fibre unique

Même si la FUEMG est disponible, la SNR reste un préalable indispensable. Ces deux techniques sont complémentaires. Tout au plus, peut-on alléger quelque peu le programme de SNR en se limitant à 4 couples nerfs/muscles qui seront choisis en fonction de la présentation clinique.
Lorsque les tests de SNR sont négatifs, la FUEMG est réalisée au niveau du muscle orbicularis oculi (Figure 4) ou frontalis (myasthénie oculaire) ou au niveau du muscle extensor digiti communis (myasthénie généralisée). Si le résultat de la FUEMG est négatif, nous conseillons l’étude d’un second muscle. Si la FUEMG reste dans les limites de la normale pour les 2 muscles étudiés, un autre diagnostic devra être envisagé.
Deux modalités de FUEMG existent. Dans l’une, une contraction musculaire volontaire de faible intensité est demandée au sujet examiné, dans l’autre, l’activation des jonctions neuromusculaires est assurée par une stimulation nerveuse à l’aide d’une aiguille monopolaire, le plus souvent à la fréquence de 10 Hz. Dans cette seconde modalité les pièges techniques sont plus nombreux et le risque de faux-positifs plus élevé.


Figure 4 : Enregistrement en électromyographie de fibre unique chez un patient présentant une myasthénie oculaire (stimulation nerveuse du nerf facial par une aiguille monopolaire, détection au niveau du muscle orbicularis oculi par une aiguille concentrique)
Cet enregistrement, réalisé au niveau d’une jonction neuromusculaire pathologique (jitter > 30 microsecondes), illustre l’augmentation du jitter suite à l’augmentation de la fréquence de stimulation nerveuse, caractéristique d’une pathologie post-synaptique telle que la myasthénie. C’est l’inverse, le jitter étant inversement proportionnel à la fréquence de stimulation nerveuse, lorsque le trouble de transmission est pré-synaptique (syndrome de Lambert-Eaton).
La question des valeurs de référence reste cruciale en FUEMG et ce d’autant qu’actuellement cet examen n’est généralement plus réalisé avec des aiguilles de fibre unique spécifique (surface active = 0,005 mm2), mais avec de fines aiguilles concentriques (surface active = 0,02 mm2). Les valeurs de référence doivent donc être adaptées pour ce nouveau matériel (4). A noter que, depuis peu, des aiguilles de fibre unique disposables sont disponibles sur le marché.

Références bibliographiques 
1. Kelly Jr JJ, Daube JR, Lennon VA et al. The laboratory diagnosis of mild myasthenia gravis. Ann Neurol 1982;12:238-42. 
2. Oh SJ, Kim DE, Kuruoglu R et al. Diagnostic sensitivity of the laboratory tests in myasthenia gravis. Muscle Nerve 1992;15:720-4. 
3. Fournier E. Etude de la transmission neuromusculaire par stimulation nerveuse répétitive. In : Fournier E, editor. Examen électromyographique (2e édition). Cachan, France: Lavoisier, 2008. p. 281-303. 
4. Kokubun N, Sonoo M, Imai T et al. Reference values for voluntary and stimulated single-fibre EMG using concentric needle electrodes: A multicentre prospective study. Clin Neurophysiol 2012;123:613-20. 
5. Godaux E. Electromyographie: Séméiologie et physiopathologie. Paris:Masson, 1989:p319.  

Recommandations pratiques (AAEM)

A) Guideline: Repetitive nerve stimulation (RNS) of a nerve supplying a symptomatic muscle should be performed. Abnormality in MG is considered to be a reproducible 10% decrement in amplitude when comparing the first stimulus to the forth or fifth, which is found in at least 1 muscle. Abnormality in LEMS is considered to be a reproducible postexercise increase in amplitude of at least 100% as compared to preexercise baseline value.
The conditions recommended for RNS testing are as follows:

  • Anticholinesterase medications withheld 12 h prior to testing, if this can be done safely.
  • Immobilization of limb when possible.
  • Frequency of stimulation between 2 to 5 Hz.
  • Baseline and immediate postexercise or posttetanic 2 to 5 Hz nerve stimulation followed by stimulation at regular intervals of 30 s to 1 min, and continuing to 5 min
  • Skin temperature over the recording site should be maintained as close to 35°C as possible.
B) Guideline: If RNS is normal and there is high suspicion for a NMJ disorder, single fiber EMG (SFEMG) of at least 1 symptomatic muscle should be performed. If SFEMG of 1 muscle is normal and clinical suspicion for a NMJ disorder is high, a second muscle should be studied.
The conditions recommended for SFEMG testing are as follows:
  • Acceptable muscle fiber potential pairs must have an amplitude greater than 200 μV and a rise time less than 300 μs.
  • Jitter is accurately calculated as mean consecutive difference (MCD) using the formula:
  • MCD =[IPI1 –IPI2]+... +[IPIn-1 –IPIn]/n-1 where IPI is the interpotential interval.
  • A study should be considered abnormal if greater than10% of fiber potential pairs exceed normal jitter or have impulse blockade, and/or mean jitter exceeds normal limits.
C) Option: If the patient has very mild or solely ocular symptoms and it is believed the RNS will be normal, or if the discomfort associated with RNS prevents completion of RNS, SFEMG testing may be performed in place of RNS as the initial NMJ test. In laboratories with SFEMG capability, SFEMG may be performed as the initial test for disorders of neuromuscular transmission as it is more sensitive than RNS. Routine needle EMG and NCSs may be necessary to exclude disorders other than MG or LEMS. 
 

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